Depuis des heures, des jours et des nuits, une éternité peut-être, Alice cherchait l'homme qu'elle aimait. Était-il sorti de la maison qu'il habitait seul ? Il ne lui avait rien dit. D’ailleurs, il ne lui disait jamais rien. Mais ça lui allait. C’était bien. Elle lisait en lui et c'était suffisant.
Parfois, en dévalant la pente, elle hurlait quel-que chose qui aurait pu être son nom, mais c’était un cri inaudible, bloqué par l’extraordinaire silence qui partout, patiemment, s’est déposé, amortissant les chocs, les souffles et les rythmes. Les paroles succombaient dans cet univers mutique comme les sources mélancoliques ou les ruisseaux incisifs aux failles de la terre.
Les mots s'absentaient longuement. Alors, il ne lui restait plus que la marche forcée ou la course éperdue pour se sentir vivre. Et quand les mots revenaient en foule, elle ne savait plus très bien quel était son propre nom. Celui d'Alice se réinstallait doucement, mais le nom de l'autre toujours pas. Elle le recherchait désespérément dans ce pays hostile à force de silence. Elle avait vécu avec lui une suite de vies minuscules. Le temps était devenu perceptible, presque pâteux, au point qu’ils s’étaient résignés à se dire le moins de choses possible, tout juste le strict nécessaire pour marquer leur raison d’être encore là, presque sans mémoire, dans un monde vacillant.
Un sentiment ancien de solitude veillait en elle, l’épiait, la guettait, attendait qu’un peu d’espoir se lève pour la rappeler à l’ordre fatal du temps.
Être seul, c’est ne rencontrer jamais personne, un bout d’humanité, même monstrueuse, qui fasse miroir. Alors, elle devait être seule depuis longtemps. Absolument. Seule malgré les frôlements, les feulements audibles dans une aube interminable, malgré la terre qui respire en secret, grouillante de vies insaisissables et minuscules, vies agitées et microscopiques, peuplades infimes des cailloutis et des poussières, des humus et des tumulus, de l’humide et du sec, du chaud et du froid, vies fragiles qui portent toute la vie, toutes les vies, les alimentent, les organisent, les justifient peut-être en attendant que les corps complexes ne retournent au destin vibratile de la paramécie et, plus tard encore, à l’éternité dansante des poussières.