On sait que la poésie ne saurait se soustraire à l’innovation, même si cette dernière n’est que l’un de ses critères d’excellence dont nul ne saurait en arrêter la liste.
Cette recherche innovante ne procède pas véritablement d’un choix délibéré et surajouté mais est bien plutôt consubstantielle de l’écriture elle-même.
Écrire, et en particulier écrire un poème, c’est toujours rompre avec quelque chose afin que ce qui n’existait pas puisse enfin voir le jour. On peut rompre avec une vie antérieure, avec un amour, avec une croyance ou une représentation du monde, avec une complicité ou une simple acceptation.
Presque à chaque fois, la poésie trouvera dans ces ruptures une des sources de son élan. Avec quelques chances, ces réalisations tomberont au bon moment et recevront un accueil favorable du public ce qui n’est, bien sûr, jamais gagné d’avance puisqu’il est fréquent qu’il y ait des rendez-vous manqués.
C’est précisément parce qu’a priori, l’humble lecture matinale de la presse semble une pratique anodine et ô combien prosaïque, qu’il n’est pas interdit de la soumettre, elle aussi, à une rupture en tentant de la percevoir d’une autre manière. Pourquoi ne pas appréhender ces titres, ces faits divers, ces commentaires d’une éphémère actualité comme des prétextes au nécessaire rêve éveillé qui est l’habituel état de grâce de tout poète ?
Mais le rêve, et plus particulièrement la rêverie, entretiennent des rapports privilégiés avec la nostalgie et l’émotionnel, avec l’incertain et l’intemporel qui fondent, bien souvent, la substance même du texte poétique. Par quelle obscure alchimie, le spectaculaire et le fait d’actualité peuvent-ils entrer en contact fécond avec ces éléments fondateurs du poème ?
Nous ne saurions le dire car le domaine de la création possède lui aussi, nous devrions dire lui surtout, ses zones d’ombre mais une chose s’impose : sans mise en contact, aucune fécondation ne peut s’opérer. Nous ne pouvons être certains du résultat mais il est nécessaire de tenter l’expérience car, bien souvent, titres et formules, commentaires et photographies ont éveillé en nous l’obscur désir d’en faire « autre chose ».
t cette langue, cette langue faisant l’objet de tant de débats alors qu’elle-même en est de moins en moins souvent le vecteur, n’est-il pas indécent de l’introduire, de manière presque homéopathique et en tout cas fragmentaire, dans cette réalisation ?
Nous répondrons que la véritable indécence serait de ne pas opérer à son endroit la nécessaire rupture qui, ici aussi, mérite d’être introduite. Écartons d’emblée les arguments de ceux qui considèrent la défense de sa cause comme une démarche à la fois vaine et passéiste, pour nous tourner vers ceux qui ont pris son parti et s’investissent dans sa promotion.
À ceux-ci nous demandons : combien de discussions prononcées intégralement en langue corse entendez-vous dans les lieux publics ? Il y a encore 20 ou 30 ans, cette dernière était présente à la terrasse des cafés, dans les restaurants, dans les échanges captés ici ou là sur la place du village…Aujourd’hui quelques mots seulement émaillent les discours spontanés que nous pouvons capter, quelques formules standardisées et c’est pratiquement tout. Il faut avoir recours aux différents médias pour pouvoir entendre des phrases entières, des raisonnements complets en langue du pays.
Tenir un tel discours sur la langue est, en soi, une rupture tant un ensemble de représentations opacifient une réalité que certains considèrent comme sacrilège d’apprécier avec réalisme.
Les ruptures ne sont pas des transgressions gratuites, elles peuvent avoir pour fonction de rappeler que le réel est têtu mais qu’il s’agit bien du réel. Lorsque les représentations ont démesurément enflé, elles finissent par ne plus représenter qu’elles-mêmes et ne sont plus alors des grilles de lecture mais des écrans de fumée. Elles ne permettent plus d’appréhender ou d’illustrer ce qui existe, elles le dissimulent.
En pratiquant comme nous l’avons fait, nous avons souhaité rendre hommage à cette lutte pour la survie d’une langue tout en reconnaissant un rapport de force que nous déplorons mais qu’il nous semble vain de nier.
Si la démarche poétique adopte et se nourrit des nécessaires ruptures, elle se doit d’appliquer la même démarche face aux préjugés des vieilles nomenclatures comme aux ruptures des discours ayant aujourd’hui acquis force de loi.
N.P