Arrêtez de faire semblant. Puisqu’en fait tout est à vendre.
Vendez les jardins, les potagers, les vergers. Vendez les terrains où les anciens enlevaient pierre à pierre, là où ils charriaient de la terre pour combler les planches pauvres.
Démontez les murets de pierres, les escaliers et les fontaines, les arches, agrémentez-en les parcs des villas de bord de mer.
Déterrez les oliviers millénaires et replantez les au bord des piscines bleue en forme de haricot, donnez-leur pour voisins des palmiers majestic et des lauriers roses, des pittosporums.
Coupez les chênes vieux, les plus gros les plus larges ; oh, après tout coupez tout, faites-en du bois de chauffage écologiquement compatible, pour réduire votre empreinte de co2, pour faire des barbecues.
Supprimez les figuiers envahissants et la mousse des murs. S’il reste des terres arables plantez du pavot, laissez mourir les potagers et sécher les vergers.
Détruisez les tombes, les caveaux, les sépultures oubliées, les mausolées, faites des réductions de corps, puis jetez les os à la mer ou donnez les aux chiens. Les morts aujourd’hui s’incinèrent, la cendre conservée dans une urne de marbre, dispersée au vent, ou oubliée dans un cendrier du salon. Le terrain gagné rapportera toujours plus que ces hommages archaïques et inutiles.
Revendez les marbres à un artisan, les plaques mortuaires à un brocanteur, faites-en du dallage à moindre frais.
Sciez à la base les vieilles croix de fer, elles serviront aux cimetières pour chiens dans des pays riches.
Détournez toutes les sources.
Démontez les chapelles en pierres, numérotez chaque élément, et exportez les dans les nations sans histoire accompagné du manuel de reconstruction. Eteignez à jamais les lumières des phares.
Faites de vos photos de famille des cartes postales, vendez vos albums de souvenirs, mettez les portraits des anciens sur des emballages de biscuit ou d’autre chose.
Fourguez les casques, les képis, les épées, les médailles, les baïonnettes, les lettres du front, les plaques d’identité. Jetez les armes à la mer.
Offrez ce qui reste à des musées ethnographiques.
Brûlez les cartes anciennes, les actes notariés, renommez villes, villages, hameaux, lieux, parcelles, comme on vous dira, ne résistez pas, n’ayez pas peur du ridicule, ou mieux donnez-leur des numéros ou des couleurs, des noms de marques ou de personnage du showbiz.
Oubliez les noms de lieux, le nom des herbes et des bêtes, le nom des fleuves et des rochers, des falaises et des près fertiles.
Renversez et enterrez les pierres dressées les dolmens, les alignements. Tuez toutes les bêtes des eaux, tuez celles du ciel et celles de la terre, bestiaux reptiles et bêtes sauvages, faites en du pâté et mettez-les en boîte.
Gommez les étoiles du ciel, ne distinguez plus le jour de la nuit et laissez vos boutiques ouvertes.
Sur les terrasses des cafés, chantez les chants de guerre et les chants sacrés. Laissez-vous photographier, filmer, interviewer, ausculter jusqu’au plus secret de votre être.
Quittez vos maisons, louez vos chambres, vos salles, laissez y entrer des occupants temporaires, ouvrez leur votre lit, couchez les dans vos draps, qu’ils se nourrissent dans vos assiettes par vos couverts et vos verres, qu’ils lisent vos livres et feuillettent vos carnets. Laissez accrochés au mur, en guise de décor authentique, les portraits des ancêtres, les croix de palme, le Jésus, les médailles de 14.
Transformez les plages en restaurants, les places en foires les rivières en piscines, les quais en boîtes de nuit.
Offrez leur votre amitié avant qu’ils ne partent, c’est toujours quelque chose de plus. Ne vendez pas votre âme, vous n’en avez plus, contentez-vous seulement de manger leur merde.
Gilles Zerlini