Le temps n’existait plus. Il n’avait même jamais existé, comme si l’un et l’autre étaient issus d’une même matrice. Même cœur, même silhouette, même âge au jardin des délices et dans l’éden des sens. La tentation du serpent était trop forte. Il exerçait une pression impérieuse pour que chacun goûte au fruit défendu de l’autre. Un sifflement audible incitait à fusionner leurs chairs, à se délecter de leur sève. Elle lui avait ouvert son livre. Il y pénètrerait totalement, tragiquement, car après son passage, il ne resterait à Alice qu’un vide incommensurable. À fleur de page, au goût salé de sa peau, il aurait commencé par un effeuillage lent. S’en serait suivi un autre plus léger avec une appétence salivaire comme on humidifie l’index pour dévoiler la page et le mystère de son contenu. Dans le terreau fertile de son antre, il aurait découvert, émerveillé, l’immensité d’un univers.
Pour prélude, son souffle aurait délivré des mots d’adoration dont la musicalité se serait déposée en vague de douceur le long des jambes, du bas de son ventre, du bout de ses seins, de la cambrure des reins et de nuque… D’une infime caresse du bout des doigts il aurait illustré son corps d’une nuance de couleurs accentuées aux zones propices. Dans la force du désir, le pinceau aurait esquissé le nu d’Alice comme un Graal fantasmé. Il aurait cajolé du bout des lèvres cet idéal absolu avant de prendre possession du palais et de pénétrer l’antichambre des merveilles. Il se serait apprêté à quitter son cap d’exil pour caboter dans un océan de douceur. Imbibé de son sel, il aurait suivi le courant avant d’apercevoir l’isthme de la terre promise. Le souffle court, il aurait fait l’aveu de son attraction pour elle, du désir ardent de se désaltérer à sa source, de s’amarrer à son port et de la reconnaitre comme sa première femme, son premier amour, l’unique majuscule de sa vie.
Dans l’adagio, il aurait navigué aux courbes de son corps comme sur un océan creusé d’abysses et, à l’appel du triangle, il aurait goûté au parfum de l’iode avant de s’immerger totalement et de disparaître à jamais.
En intermezzo, dans l’étreinte fusionnelle, elle l’aurait irradié de sa lumière. Alors, porté par l’ondulation des vagues et le sillon de leur écume, il aurait, en elle, remonté le temps et accosté dans la béance béate de son corps. À l’anse élargie de son bassin, il se serait abreuvé d’elle, de son eau de vie et de mort, de sa lumière et de son ombre avant d’agoniser dans une léthargie douce.