Avant-propos
PETR’ANTÒ SCOLCA ET XAVIER CASANOVA
Il s’agit ici de présenter un projet curieux. Un livre sur les livres. Un livre dans lequel nous allons revenir sur des livres pour les inscrire dans la durée. Cela peut paraître un projet bien étrange si l’on considère les règles physiques qui conduisent au mouvement incessant du monde. Les livres, en effet, vont et viennent comme les petits cadeaux, censés entretenir l’amitié. Ils semblent avoir pour usage d’endormir la conscience dans l’illusion d’un environnement paisible. Mais il n’est rien de tel. Flux impétueux et incontrôlable, les livres font masse, distraction, sidération : seule la littérature fait sens. Du moins, lorsqu’elle se détache du bruit de la production et propose sa propre contemplation.
DE LA LITTÉRATURE
De fait, la littérature surgit sourdement. On ne la conçoit pas, avant qu’elle ne devienne force qui émerge et se nomme dans l’inconscient culturel Alors, elle semble préexister depuis toujours et entraîne l’adhésion des foules. C’est ainsi que se présentent les classiques, longtemps insoupçonnés et soudain lumineusement évidents.
La littérature s’impose, autant qu’elle impose.
Sa parole est claire et distanciée de toute contingence. Elle ne relève pas du monde de la frénésie, dans lequel se noie le contemporain. Au rang de la contingence, classons l’auteur en tant que contemporain, et son existence biologique, parfois fiscale, ou amoureuse, ou scandaleuse… bref autant d’aspects superficiels dont la littérature se fout à juste titre.
L’œuvre n’est jamais écrite par un homme ou une femme – cernés par l’accumulation de traces dont les data analists se régaleraient –, pas plus que par un automate agissant en laissant derrière lui le diagramme des états du système qui le commande plutôt que l’effet attendu de ses actes.
La littérature et l’écrivain ne se superposent pas automatiquement. Certains dont Balzac et Dostoievski assistent de leur vivant à la rencontre de ces deux temporalités. Mais ce n’est pas la règle.
La littérature a choisi l’œuvre de Jean-Pierre Santini.
Que l’on nous permette ici une certaine nonchalance, et que l’on pardonne également ce qui peut passer pour un manque de vigilance. Nous ne l’avons pas vue venir. Nous étions charmés et addicts à la fois, nous ne dépassions pas le plaisir de la lecture.
Pourtant, les signes s’accumulaient depuis des années.
Dans nombre d’ouvrages, en effet, il est courant de faire précéder le texte édité d’une rubrique « du même auteur ».
Si cet usage était respecté à la publication des derniers livres de Jean-Pierre Santini, il faudrait consacrer deux pages à ce simple inventaire (voir p. 437, la bibliographie).
C’est dire à quel point nous sommes face à un auteur prolixe, nous ayant mis, au fil du temps, face à une œuvre considérable, et à bien des égards monumentale.
L’ŒUVRE, DU PROCESSUS AU RÉSULTAT
Et c’est de cette littérature que nous allons aujourd’hui discourir dans le présent ouvrage, découpé en deux livres, pour rendre compte de ce fil du temps, pour en apprécier les points d’entrée, pour en comprendre la profondeur inachevée.
Or, puisqu’il s’agit à travers ces années passées de « rendre compte » de l’œuvre santinienne, de la dévoiler en tant que littérature, autant s’inspirer d’un principe comptable très général. Il conduit à distinguer d’un côté le flux et sa dynamique, et de l’autre le stock et son ampleur : la littérature en train de se faire, et l’œuvre accomplie.
Rien de plus que la vieille distinction latine entre un gérondif, operandi, et un participe passé, operatum : les deux clefs d’interprétation de l’opus. Deux temps et deux temporalités distinctes.
LIVRE PREMIER : LIRE SANTINI
La littérature, nous le pensons, se constitue d’abord de toutes les réactions qu’elle suscite. Chaque texte envoie des ondes qui se répercutent et s’animent. Le livre premier – dérivée première, diraient les matheux – assemble ainsi toutes les recensions des ouvrages de Jean-Pierre Santini, telles qu’elles ont été énoncées au fil de l’eau.
Comme Jean-Pierre Santini n’est pas un homme de médias, et que la presse est souvent muette à son égard – du moins les Majors –, ces réactions se lisent pour l’essentiel dans les blogs. Quelques-uns suffisent à former la chambre d’écho aussi nécessaire à la création littéraire que le « retour son » à des musiciens ou des chanteurs sur scène. Parmi ces blogs donnant après lecture leurs ricucate, on noterait l’Or des livres, Flicorse, K-libre, Isularama, Combats-magazine…
Toutes ces dénominations signalent des tentatives d’instituer une multitude de supports, en s’emparant de l’Internet pour y répéter et y démultiplier l’appel d’air autrefois porté par la création des radios libres.
Les sensibilités sont aussi multiples que sont diverses les tonalités dans lesquelles Jean-Pierre Santini s’exprime. De livre en livre, il saute en effet du discours dogmatique de rédacteur de manifeste au ton sarcastique de l’observateur de quelques dérives éthiques et politiques ; aux intonations poétiques d’un grand amoureux de l’amour ; aux modulations hypersensibles d’un grand romantique dont on ne sait plus s’il écrit comme il vit ou vit comme il écrit ; aux notes inquiètes et torturées chaque fois que surgit le spectre de la mort. L’omniprésente, l’inéluctable.
LIVRE SECOND : J’ÉCRIS SANTINI
Le travail d’Éliane Aubert-Colombani se construit dans une autre dimension temporelle, puisqu’elle constitue une relecture minutieuse autant que lumineuse, effectuée à partir de l’œuvre parue à ce jour. Si la littérature ne se fait pas toujours remarquer, aujourd’hui est le moment de la réception, et donc de son analyse suivie.
Le point de vue unique et quasiment exhaustif d’une lectrice experte permet cette fois de repérer les lignes de force et les thématiques parfois obsessionnelles, comme il convient à tout grand malade de la littérature ; et de dessiner les perspectives sociales et politiques d’une écriture merveilleusement humaniste.
POSTFACE : LE TEMPS DE L’EXÉGÈSE, CELUI DU MONDE
Il faut une fin, puisqu’il y aura une fin. Charlie Gallibert s’en charge avec maestria, en anthropologue et en prophète. Mais bien sûr, comme toute exégèse, celle-ci s’avère profuse et incommensurable. Réveillant en nous d’autres ricucate, ces échos infinis de cette âme sonore qui nous unit dans l’amour des livres.