1
A Stantara repose depuis trois mille ans au berceau de la terre.
Dans l’appareillage du mur qui la protège, les interstices font autant de paupières.
L’ombre de ses regards multiples accompagne la course du soleil.
Des voiles pointaient souvent à l’horizon.
Sur les bleus de la mer où mille feux palpitent navigaient d’étranges étrangers.
A Stantara montait ainsi sa garde silencieuse jusqu’au jour où le mur s’effondra offrant à la lumière les traits sommaires de son visage.
C’est en 2033 que se produisit l’événement discret d’un mur qui s’effondre comme s’effondre doucement une terre modelée par le travail des hommes.
Nimu en fut le seul témoin.
Il passait par là comme il passait partout dans son village, même sans se déplacer.
Il vivait son pays de l’intérieur.
Il était le dernier habitant d’Imiza.
Les communes où survivait un peuple résiduel portaient le nom de réserves.
2
Nimu avait décidé de se nommer ainsi parce qu’on avait volé l’identité de son peuple et par conséquent la sienne.
Dans l’ordre inéluctable de la disparition, on peut résister par l’écriture, celle des mots sur le vertige des pages blanches ou celle des pierres appareillées en hautes murailles sur la terre concrète.
Écrire et construire, Nimu y consacrait l’essentiel de son temps.
Restaurer une partie du mur dont l’effondrement avait découvert A Stantara, ne lui posait aucun problème.
Il avait l’habitude, même si les forces commençaient à faire défaut.
3
Quelque chose s’était passé autrefois qui faisait écho dans sa mémoire.
C’était en 2020.
L’époque ne laissait plus aucun doute sur la tragédie silencieuse d’un peuple à l’agonie.
Il s’était trouvé encore quelques innocents pour se révolter, une poignée d’irréductibles ignorant tout des contrôles modernes de la téléphonie et des réseaux sociaux.
La police les avait aussitôt identifiés.
Un juge les avait jetés derechef en prison.
Nimu était parmi eux.
Comme il s’était répandu en petites fabriques littéraires, essais politiques, articles de presse, journaux, libelles, affiches et tracts de toutes sortes, un ami éditeur avait ouvert sur son site une page de soutien intitulée : « Écrire pour lui… ».
Des dizaines d’auteurs avaient répondu à l’appel, adressant lettres, poèmes, nouvelles et récits.