Quand il entre en piste on ne voit que lui et moi comme les autres bien sûr. Il est habillé tout en blanc, chemise et pantalon. Même les chaussures sont blanches. Des mocassins tressés dessus. C'est ce que je regarde quand il s'approche pour danser en face de moi parce que je garde la tête baissée. Je ne veux pas qu'il pense que je le trouve beau. Ça se voit peut-être dans le regard des filles. Pour les garçons c'est plus banal. Ils passent leur temps à nous décortiquer. J'ai l'impression que c'est ce qu'il fait le type tout en blanc qui est entré sur la piste comme si c'était une vedette. Du coup, je lui tourne le dos, mais ça ne doit pas arranger les choses parce que ça doit l'exciter un peu plus. Il finit par me contourner et par danser à nouveau devant moi. Je lève les yeux comme si je le découvrais pour la première fois. Il sourit. Il a un sourire éclatant. Je ne réponds pas. Je fais comme si j'étais complètement absorbée par la danse, comme s'il n'y avait personne autour de moi alors qu'en réalité ça chavire doucement dans ma tête. Je sens que je perds pied et quand on danse ça fait tout drôle. On se laisserait tomber volontiers dans les bras du premier venu, juste pour ne pas s'effondrer sur la piste de danse.
Finalement je me décide à le regarder. Il ne me quitte pas des yeux. Il cherche les miens. Moi, je le scanne. Il n'est pas de la même génération. Je lui donne trente-cinq ans, peut-être un peu plus. Il a les cheveux noirs, légèrement frisés, un visage presque juvénile, et des yeux bleus. Il porte une lourde chaine autour du cou et une gourmette au poignet droit. L'or capte les lumières de la boule à facettes et renvoie des éclats magiques. La chemise est légèrement entrouverte sur un pelage naissant. J'imagine que tout le torse en est recouvert et ce détail me donne envie sans que je comprenne pourquoi.
On danse une dizaine de minutes. Finalement nous ne nous quittons plus des yeux. C'est lui qui s'arrête le premier et qui me demande si je n'ai pas soif. Il a un léger accent. Je réponds que oui, que j'aimerais bien boire un peu. Il veut m'inviter à sa table. Je lui explique que je suis avec ma sœur et que je ne veux pas la laisser. Je lui propose de venir avec nous. Il dit que ça tombe bien parce que lui il est seul.
On rejoint Marie-Jo et il se présente. J'entends son nom pour la première fois. Sergio. Après, dans la conversation, on apprend qu'il est italien et qu'il est venu passer quelques jours en Corse. Il dit que ça ressemble beaucoup à l'Italie et que c'est comme s'il était chez lui. Il nous demande d'où on est. C'est Marie-Jo qui répond. De tout près, dit-elle. Juste à un quart d'heure à pieds d'ici. On habite Lupinu. On y a toujours vécu. Notre famille est installée là depuis longtemps. Bien, bien, dit Sergio. Et vous faites quoi dans la vie ? Toutes les deux on dit qu'on est étudiante. C'est un peu vrai pour Marie-Jo qui vient de terminer une formation de secrétariat médical et qui va commencer à travailler en octobre. Pour moi, ce n'est pas vrai du tout, mais je n'ose pas dire que j'ai abandonné les études en première depuis trois mois. Étudiante ça fait toujours bien. C'est comme si on disait qu'on était libre dans le présent et qu'on aurait un avenir. C'est la seule fois où j'ai pu encore le dire. Après c'était moins intéressant.
On reste jusqu'à trois heures du matin. Sergio invite plusieurs fois Marie-Jo à danser avec nous, mais c'est moi qu'il regarde tout le temps. C'est comme s'il me pénétrait déjà et j'avais envie de m'ouvrir.
Quand on quitte La Paillote, il nous propose de nous raccompagner. Il a une belle voiture rouge décapotable, une Alfa Roméo. Marie-Jo s'installe à l'arrière et moi devant, à côté de lui. Il nous raccompagne au pied de l'immeuble. Marie-Jo descend la première. J’hésite un peu. Elle comprend. Bon, je vous laisse, mais toi, ne rentre pas trop tard me dit-elle.
Sergio et moi, on retourne à l'Arinella, sur une piste qui longe la plage. Il gare sa voiture, se tourne vers moi. Il a un sourire éclatant. Il me demande si je veux marcher un peu. Je dis non avec la tête. J’ai baissé les yeux. Je n'ose pas le regarder. Alors, viens. Il descend de la voiture, la contourne pour ouvrir ma portière, me prend la main pour m'aider à sortir et quand je suis debout là devant lui, il me prend et m'embrasse. C'est la première fois. Je n'ai jamais voulu avec les copains à l'école. Ils me tournaient autour, mais ne n'attiraient pas. Je me disais que ce serait seulement un jeu avec ceux-là S'il fallait connaître l'amour, autant le connaître complètement. Le flirt, très peu pour moi.
Sergio me caresse les seins, mais ça ne me fait aucun effet. Je ne sens rien. Je préfère quand ses mains passent dans mon dos, sur mes reins, sur mes fesses. Il déboutonne mon jean et glisse ses mains sur mon ventre, jusqu'au sexe. Je suis prête. Il le sait, il le sent. Il ouvre la portière arrière de la voiture. On s'y installe très vite. On est pressé. Je me suis complètement ouverte, mais il me pénètre d'abord avec les doigts, délicatement, comme pour me préparer. Mon sexe est étroit. Il comprend. Il sait pourquoi. Alors quand il commence à me pénétrer de toute sa puissance, il le fait avec une sorte de douceur. J'ai quand même très mal. Je ne dis rien. Je souffle un peu fort, comme lui, mais je ne dis rien. Il jouit rapidement, mais ne se retire pas tout de suite. Il reste là comme épuisé, la tête posée entre mes seins. Je sens son membre diminuer. Il finit par se retirer sans qu'un mouvement soit nécessaire. Sergio me demande de ne pas bouger. Il cherche quelque chose dans la case en bas de la portière. C'est un paquet de mouchoirs. Il en sort trois ou quatre et me dit de les utiliser pour ne pas en mettre partout. Il parle de ce qu'il a vidé dans mon ventre. C'est peut-être pour éviter que ça ne coule le long de mes jambes, mais peut-être que c'est aussi pour éviter qu'on salisse sa belle voiture. Sur le moment ça me rend un peu triste, surtout que je n'ai trouvé aucun plaisir à cette première expérience et qu'en plus ça me fait mal. D'ailleurs, sur les mouchoirs, il y avait un peu de sang. On les a jetés sur la route. Ce soir-là, je suis devenue une femme. Il ne me restait plus qu'à faire mon chemin.